«Fine-Wineing» est le concept d'Oliver Friedrich, restaurateur, et de son équipe de l'«Alter Torkel». Cela explique que le vin joue les premiers rôles au «Huus vom Bündner Wii» à Jenins. Ajoutez-y une carte savamment constituée, et vous obtiendrez une expérience inoubliable qui ravit tous les sens.

Début février. Par une température autour de zéro, je monte dans le car postal à Bad Ragaz direction Jenins. Des bancs de brume nappent la vallée du Rhin et brouillent la vue sur les sommets enneigés. Par les étroites ruelles de Maienfeld, je fais le «Grand Tour of Switzerland» direction Jenins, où je découvre l'«Alter Torkel» à l'entrée du village. L'établissement est là, paisible, lové dans un vignoble endormi à cette époque de l'année.
J'ouvre la lourde porte de bois, curieuse de découvrir l'univers d'Oliver Friedrichs. Je sais qu'entre 2009 et 2016, il s'est fait un nom comme maître d'hôtel et sommelier dans le restaurant 3 étoiles d'Andreas Caminada, au château de Schauenstein. En 2013, le Gault Millau l'a désigné Sommelier de l'année. Après le château de Schauenstein, son parcours l'a amené au Parkhotel Vitznau, sur les rives du lac des Quatre-Cantons, là encore un haut lieu culinaire. En février 2020, il est revenu dans les Grisons avec son épouse Julia. Mais comment le bachelier de Fribourg-en-Breisgau est-il devenu le restaurateur passionné que je rencontre aujourd'hui?
Le quadragénaire à la coiffure Rockabilly me salue chaleureusement. À cette heure, il n'y a encore aucun convive dans cette noble bâtisse vieille de 400 ans où trône une puissante presse. Elle révèle l'origine des lieux: on y pressait le raisin. Le «Torkel» – en allemand – avait une double fonction, abritant tout à la fois la presse et le chai proprement dit. Sur le mur derrière, je découvre les nectars de la région. Et note au passage que chaque table offre une certaine intimité.

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Il réalise son rêve à l'«Alter Torkel»: Oliver Friedrich

Entre pizzeria et banc d'école

Nous montons l'escalier pour accéder à la «Mezzanine», puis au «Tonneau», où nous prenons place. Cet espace ouvert en 2016 rappelle la forme d'un tonneau de vin. Aux murs sont suspendus des panneaux d'information sur la viticulture locale. Le bâtiment appartient en effet à l'Association grisonne de viticulture. Oliver débute son récit: «Tout a commencé par un job d'appoint dans un service de livraison de pizzas. Les jours de match de football, les appels étaient incessants. Ce ‹stress téléphonique› a libéré chez moi une énergie énorme. Alors que j'étais un grand fainéant à l'école, obtenant mon bac de justesse, à la pizzeria, j'étais dans mon élément. Mes collègues disaient que j'avais la restauration dans le sang.» 

Ce ‹stress téléphonique› a libéré chez moi une énergie énorme.

Oliver Friedrich

Propriétaire

Le jeune Oliver voulait commencer petit et postuler dans de simples hôtels 2 ou 3 étoiles. «Mais mes collègues m'ont poussé à tenter tout de suite ma chance auprès d'établissements 5 étoiles.» Et à sa grande surprise, il reçoit une réponse positive à ses six candidatures. Lors d'un stage d'une semaine, il met à l'épreuve chacune des six entreprises formatrices potentielles. Il opte finalement pour le «Bareiss», un hôtel de luxe en Forêt-Noire, à Baiersbronn. Il y apprend l'excellence hôtelière en partant de zéro. «Au fil du temps, il s'est orienté de plus en plus vers le restaurant. Ils avaient l'air si cool, les serveurs, dans leur costume noir! Je voulais être de la partie.» Très vite, il troque le janker pour un costume. Au même moment se forge une solide amitié avec un certain Andreas Caminada, qui travaille également au «Bareiss».

À la découverte du vin en combi VW

Jusqu'à 25 ans environ, Oliver Friedrich n'a aucun atome crochu avec le vin. Mais pour ouvrir un établissement, Thomas Brandt, maître d'hôtel  au restaurant «Bareiss», lui recommande de s'initier aux secrets du vin. «J'ai suivi son conseil et dépensé de l'argent pour du vin que je n'arrivais pas à apprécier.» Mais Oliver ne lâche pas le morceau. Après six années passées au «Bareiss», il part sillonner l'Europe, de domaine en domaine, dans son combi VW. «J'ai dû reposer la même question des dizaines de fois aux vignerons, parce que je ne parvenais pas à intégrer certaines notions. Mais la fascination a grandi de verre en verre ou plutôt d'histoire en histoire. Et soudain, j'ai pu parler avec eux de leurs différents millésimes. Je n'oublierai jamais ce moment.»

De jeune sommelier à restaurateur

En 2005, Oliver arrive en Suisse, d'abord à St-Moritz, puis à Zurich, jusqu'à ce qu'un appel d'Andreas Caminada en 2009 le ramène dans les Grisons. Chez son ami, il apprend à apprécier les vins grisons. «Au château de Schauenstein, nous avions fait le pari de ne recommander aux clients que des vins locaux pour accompagner les mets.» Cela n'a pas été facile. «À 32 ans, dire aux clients qu'ils devraient essayer un vin du canton n'a pas toujours été bien perçu», se rappelle Oliver. Le titre de Sommelier de l'année a sûrement été un atout, quoique: «Aujourd'hui, je préférerais être restaurateur de l'année. J'ai plutôt l'âme d'un homme-orchestre et, à l'époque, il y avait sûrement encore de meilleurs sommeliers que moi.» Il fait aussi la connaissance de son épouse Julia en 2009. La même année, ils ont le coup de foudre pour l'«Alter Torkel» dès la première visite. «Aujourd'hui, nous réalisons notre rêve ici. Pour nous, c'est perl'endroit parfait.» Le chef de cuisine David Esser a également quitté le Parkhotel Vitz au pour rejoindre Jenins. Annemarie Kohler, directrice, complète l'équipe dirigeante.

Vers l'entreprise

Alter Torkel
Huus vom Bündner Wii
7307 Jenins

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Origine: bâtiment construit au 17ème siècle pour abriter un chai communautaire et sa presse pour les vignerons locaux. Transformation progressive en restaurant à partir de 1968. Dirigé depuis 2020 par Julia et Oliver Friedrich.

Concept: fine-wineing, c'est le vin qui détermine le plat.

Direction: Julia et Oliver Friedrich (propriétaires), David Esser (chef de cuisine), Annemarie Kohler (directrice)

Équipe oenologique: Jennifer List (sommelière), Benjamin Schönbauer (jeune sommelier), Michaela Berger (jeune sommelier)

Collaborateurs: 20

Carte des vins: environ 1500 références de 80 vigneronnes et vignerons. Oliver Friedrich attache une importance particulière à la maturité des vins.

Histoires de vignerons: régulièrement, des vigneronnes et vignerons grisons viennent parler de leurs trouvailles, dégustation à l'appui, autour d'un repas du soir savamment élaboré.

Espaces: Presse, Mezzanine, Tonneau, Pergola, Terrasse, Vignoble

Weinregal mit Flaschen im restaurant alten torkel
le saviez-vous?

Vins grisons

La Seigneurie grisonne, avec ses localités de Fläsch, Maienfeld, Jenins et Malans, mais aussi toute la vallée du Rhin, sont réputées pour leur vin. On qualifie d'ailleurs la région de «Bourgogne de la Suisse». Environ 80 vigneronnes et vignerons exploitent une surface d'à peine 423 hectares, le Pinot noir étant clairement le cépage le plus prisé, lui qui occupe 75 % de la superficie cultivée. Parmi les 40 autres cépages utilisés figurent aussi le Riesling-Silvaner (7,6 % de la surface), redécouvert, et le très ancien Completer (0,9 %).

assortiment de vins des Grisons

Une carte des vins, fruit d'un travail d'équipe

Mais à l'«Alter Torkel», Oliver, Julia, David et Annemarie ne sont pas les seuls à la manoeuvre. Toute l'équipe est impliquée. En entrant dans le «Tonneau», j'ai eu le regard attiré par des notes laissées sur quatre tables. Oliver lève le voile: «Nous avons eu hier notre réunion d'équipe oenologique et avons retenu chacun 21 vins au verre pour la carte de printemps, d'été, d'automne et d'hiver. C'est Jennifer, notre sommelière, qui dirige les opérations, mais les avis de nos jeunes sommeliers Benjamin et Michaela sont aussi pris en compte.» David Esser note alors les arômes des vins sélectionnés et se lance dans la création des mets appropriés.

Vient alors le temps fort de ma visite: je peux découvrir moi-même le concept du «fine-wineing», ce concept où le vin détermine le plat. Pour l'entrée, j'opte pour le Chardonnay de Christian Hermann. David me sert ici des St-Jacques au chou-fleur en différentes variantes, accompagnés d'une crème miso-noisettes. Il m'explique: «Ce vin va très bien avec le poisson et le  fruits de mer. La St-Jacques a un petit goût de noix. De là est venue l'idée de la combinaison noisettes et chou-fleur, qui formentune harmonie parfaite. Avec la cacahuète, le goût de noix joue aussi un rôle important dans la cuisine asiatique, d'où le tempura. »

Pour le plat principal et le dessert, je laisse le libre choix à David et Oliver. Avec le Pinot noir à la note fumée spécialement embouteillé pour l'«Alter Torkel», David sert un plat-de-côtes au fantastique laquage teriyaki, avec du chou coeur-de-boeuf et une interprétation maison du rösti. Le Riesling-Silvaner a assuré la note finale avec un sorbet Earl Grey inspiré d'un tea-time à l'anglaise. Faisant allusion à tous ces mets fantastiques, Oliver insiste: «À l'‹Alter Torkel›, vin ou plat, chacun trouve à se satisfaire. Les clients ont le choix entre un verre de vin à 7 francs ou à 50 francs ou entre des spätzlis au fromage à 25 francs et un plat-de-côtes à 52 francs.»

Coup de projecteur sur le personnel de salle

«Ce qui distingue les vins que nous avons à la carte, c'est la maturité. Les vins de cette région sont bus trop jeunes généralement. C'est dommage, c'est pour cela que je suis si attaché au stockage», reconnaît Oliver. Le vin mis à part, c'est à son équipe qu'il prête le plus d'attention. «J'écoute mon équipe. Si les gens peuvent apporter une contribution active et apporter leurs idées, ils restent plus longtemps, et tout le monde est gagnant.» Pour Oliver Friedrich, il est aussi essentiel de mettre à l'honneur le personnel de salle: «Les stars, ce sont souvent les cuisiniers. Les jeunes veulent devenir cuisiniers, parce qu'ils trouvent cela cool. Mais sans un service compétent, les meilleurs plats font pâle figure à table. Le service est un métier extraordinaire. Professionnellement, il est rare de trouver une résonance aussi directe.» 

C'est la note fumée du vin qui a conduit à cette combinaison.

David Esser

Chef de cuisine

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Le chef de cuisine David Esser explique pourquoi les St-Jacques au chou-fleur et crème miso-noisettes se marient merveilleusement avec le Chardonnay de Christian Hermann.
Il faut du temps pour faire connaître une marque et la peaufiner sans cesse.

Oliver Friedrich

Propriétaire

Oliver planifie à long terme, reste innovant et remet sans cesse tout en question. «L'été, l'affaire tourne à plein régime. Et l'hiver, nous proposons plutôt aux clients un programme de fêtes et de rencontres vigneronnes, en plus de notre formule allin combinant fine-wineing et hébergement. » Il faut du temps pour faire connaître une marque et la peaufiner sans cesse. Cela se sent: la marque de l'«Alter Torkel» va encore beaucoup faire parler d'elle. Aussi parce que la viticulture grisonne est appelée à un avenir passionnant où la prochaine génération va apporter tout le savoir-faire acquis et conférer une note individuelle à chaque nectar.

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Au «Huus vom Bündner Wii», toute l'équipe est sous les feux des projecteurs, du chef de cuisine au personnel de salle.
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Une expérience de «fine-wineing» jusqu'au dessert, avec un Riesling-Silvaner accompagné d'un beignet et d'un sorbet Earl Grey et bergamote.

C'est avec un regard nouveau sur les vins grisons que je prends congé d'Oliver et de David. Je me fais la promesse de revenir l'été pour déguster un Chardonnay bien frais dans l'accueillante pergola.

Photos: Jonas Weibel

sara portrait duden

Sara Hübscher

Auteure

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